Maurizio Catellan, « Sans titre »

Bavartdage numéro 76

Paris, 24 octobre 2015

Bon. C’était bien gentil cette belle exposition sans oeuvre, elle a eu beau me redonner l’envie d’écrie – et c’est déjà ça, elle a eu beau me faire pondre un texte doit j’étais plutôt satisfait -à peu près, du moins – elle ne me dit pas quoi faire à présent.

Et cette fois, pas de Fontaine à l’horizon pour me botter les fesses. C’est donc tout seul, comme un grand, que je me décide à piocher sur Que faire à Paris une idée d’expo.

Ce sera Maurizio Catellan, tiens. Le type qui s’est retrouvé dans les livres d’histoire de l’art en faisant tomber une météorite sur le Pape et en mettant Hitler à genoux.

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« Bonjour, dis-je simplement au Jean-Paul II à moitié écrasé, en entrant dans l’une des majestueuses salles de la Monnaie de Paris.

– Aaaaargh, me répond l’œuvre, dans un râle douloureux – pour elle comme pour mes oreilles.

– Ça va ?

– Aaaaaaaaaaaargh, enchaîne la statue de cire du souverain pontife, plus fort et plus douloureusement encore ».

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Mais pourquoi diable les œuvres ne veulent-elles plus me parler, ou si peu ? Qu’est-ce que j’ai fait pour ça ? Aurais-je perdu ma faculté de parler avec les œuvres d’art ? Ou pire, peut-être tout cela n’était-il que construction de mon esprit depuis tant d’années, et mon innocence d’ado disparaissant petit à petit, mon subconscient refuse-t-il désormais de me faire croire que les œuvres d’art savent parler ? Alors tout ça, c’est fini ?

« ATTENTION ! »

Oulà. J’ai failli me casser la figure dans un trou.

Oh. Attendez. Un trou en plein milieu d’une salle d’exposition ?

« Coucou ! Eh, fais gaffe, l’ami, tu as failli me marcher dessus ! »

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Ce n’est pas qu’un trou, en fait. De ce trou, sort une petite tête à l’air malicieux. Un homme miniature qui s’appuie de ses petits bras pour se dresser au-dessus de la surface du sol.

« Eh ! Mais vous êtes qui vous ? Et qu’est-ce que vous faites là ?

– Je suis Maurizio Cattelan, me répond-il avec un aplomb décontenançant et un accent italien.

– Oh. L’artiste ?

– Non, le jardinier. Ben oui, l’artiste.

– Vraiment ?

– Non. Tu as vu la taille que je fais ? Eh oh, aspeta ! Je suis une oeuvre d’art, une sculpture faite par Maurizio à son effigie !

– Un autoportrait, quoi ?

– Exactamente ! Et je ne suis pas seul dans le coin. N’est-ce pas, Mini-me ?

– Ha ha, je n’aurais pas dit mieux ! » fait une autre reproduction miniature de Catellan, que je n’avais pas vue dans la salle précédente, perchée sur une corniche entre deux pigeons.

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Ça devient décidément très bizarre.

« Eh, quoi ? fait le Cattelan qui pointe son nez hors du trou. Ça t’étonne que Maurizio se mette tellement en scène ?

– Un peu, oui.

– Pourtant, c’est totalement raccord avec son personnage d’artiste. En se représentant dans ses propres œuvres comme ça, il peut mettre la figure de l’artista dans les situations qu’il veut ! Ça n’en a pas l’air comme ça, mais les collègues et moi, nous sommes de sacrées interrogations du monde de l’art !

– Tu as raison ! » fait une voix dans une salle un peu plus loin.

En passant une tête dans la salle suivante, je constate qu’il s’agit d’un troisième Cattelan miniature, quoi qu’un chouïa plus gros que les deux autres. Celui-là est accroché au mur, comme si on l’avait pendu à un porte-manteau – ou comme un artiste qu’on a accroché à la place de son oeuvre, me dis-je en me remémorant ce que vient de me dire le Cattelan qui sort du sol.

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« Et toi alors ? lancé-je à ce dernier. Tu interroges quoi, tu dis quoi ?

– Ah tiens, on est passé au tutoiement !? me rétorque la sculpture.

– Ah euh… oui. C’est que j’ai l’habitude de tutoyer les œuvres.

– Et pas les artistes, donc. Bien, j’en prends bonne note. Moi, je suis peut-être le meilleur résumé de toute la vie de Maurizio ».

Rien que ça, tiens.

« Le résumé de toute sa vie ? C’est à dire ?

– Maurizio s’est toujours vu comme un intrus qui faisait irruption dans un musée sans passer par la porte, me répond l’œuvre devant laquelle de nombreux visiteurs s’arrêtent le temps d’une photo.

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– Ah bon ? Mais… ce n’est pas un artiste qui vend ses œuvres pour plusieurs centaines de milliers d’euros ?

– Oh, si, même plus. Mais entre ce que dit le marché et la personnalité de l’artiste, il y a tout un monde. Tu sais, il n’a commencé sa carrière qu’à 30 ans, après un long parcours. Maurizio a commencé par travailler pendant quatre ans dans une morgue, avant de tout plaquer pour partir aux Etats-Unis, arpenter les gallerias, rencontrer des artistes…

– Et c’est là qu’il se lance ! dis-je pour abréger.

– Absolument pas ! Il rentre en Italie et se met à fabriquer des meubles. Mais ses créations sont si originales qu’elles lui valent d’être invité dans des salons d’art contemporain.

– Ok. Et il finit par se lancer quand ?

– En 1989, ou 90. Mais en tant que grand intrus du monde de l’art, Maurizio s’est souvent défilé à ses responsabilités d’artiste.

– Ses responsabilités ?

– Exposer dans les biennales. Il refourgue son espace a une marque de parfum.

– Oh. Mais c’est en quelque sorte une performance, non ?

– Un génial coup de provoc même ! Laisser sa galerie désespérément fermée, avec un panneau « Je reviens tout de suite », aussi.

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– Certes. Là, aussi, performance.

– Si tu vois les choses comme ça… et annoncer la fin de sa carrière comme un cheveu sur la soupe, en 2011, avec une expo rétrospective de toutes ses œuvres, ce n’est pas échapper à sa responsabilité d’artiste dans un marché de l’art qui a besoin de création renouvelée ?

– Soit. D’accord. Donc ce que tu me dis, c’est que tu représentes un mec qui passe son temps à passer une tête dans le coin, sans jamais vraiment entrer.

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– Voilà ! C’est exactement ça que je suis ! La métaphore d’un Maurizio qui n’a cessé d’apporter sa pierre au monde et à l’historia dell’arte, sans jamais vraiment se conformer à ce que ça implique. Si tu savais tout ce qu’il a fait endurer à son galeriste !

– Quoi par exemple ?

– Par exemple. Lui faire porter un costume de lapin-bite.

– Ok, je m’incline ».

Et je continue mon chemin dans l’exposition. Alors qu’en fait, j’aurais bien aimé sortir comme Cattelan par ce petit trou dans le sol.

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