« Le Pigeon aux petits pois » de Pablo Picasso fait partie des collections du Musée d’Art moderne de la ville de Paris. Mais en 2010, il a été dérobé… et jamais retrouvé depuis.
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LAETITIA : Bavartdages était en vadrouille tout cet été, Julien Baldacchino est parti autour du monde pour interviewer des œuvres qui ont marqué l’histoire de l’art… Bonjour Julien, où êtes vous aujourd’hui ?
JULIEN : Euh… bonjour Laetitia. Ecoutez je ne sais pas vraiment où je suis là…
LAETITIA : Comment, vous ne savez pas ?
JULIEN : A vrai dire, j’avais prévu pour cette dernière une interview exclusive des œuvres qui ont été dérobées en 2010 dans un casse spectaculaire au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. J’avais une piste mais je me suis fait attraper et me voilà dans ce qui ressemble à une cave.
LE PIGEON AUX PETITS POIS, voix lointaine, un peu roublard : Et t’es pas près d’en sortir mon vieux.
LAETITIA : Qui est avec vous Julien ?
JULIEN : C’est un des tableaux disparus. C’est le Picasso. « Le Pigeon aux petits pois », c’est son titre.
PIGEON : Lui-même ! Aah ça fait du bien d’avoir quelqu’un à qui parler ! Ca fait tellement longtemps !
JULIEN : Ca tombe bien j’ai plein de questions à vous poser.
PIGEON : VOUS ÊTES DE LA POLICE ?
JULIEN : Ah non pas du tout. Julien Baldacchino, France Inter.
PIGEON : Aaah d’accord ! Connais pas.
LAETITIA : On est en direct à la radio monsieur.
PIGEON : Entendu. Je vous écoute.
JULIEN : Ce qui nous intéresse avant tout c’est de savoir comment vous êtes arrivés là… On est où d’ailleurs ?
PIGEON : Pas la moindre idée. Je vais vous décevoir, mais je ne sais pas tout. Un jour je me suis retrouvé dans un sac plastique… et là c’est le trou noir.
JULIEN : Et avant ça ?
PIGEON : Ah ça… Le cambriolage… Quelle histoire ! Je m’en souviens comme si c’était hier. Imaginez… J’étais tranquille un soir sur ma cimaise au Musée d’Art Moderne… Et là tout d’un coup…. J’entends du bruit dans une salle à côté. Et puis des cris étouffés. C’était un autre tableau, un cousin, un Léger. Il était en train de se faire embarquer.
JULIEN : Et vous n’avez rien fait ?
PIGEON : Qu’est-ce que vous vouliez que je fasse ? On était tous accrochés à nos murs… Non, on espérait tous que l’alarme se mette à sonner.
JULIEN : Et elle n’a jamais sonné…
PIGEON : Non ! Rien ! Nada ! Vous pensez bien, le cambrioleur était tranquille.
LAETITIA : Mais comment ça se fait que rien n’ait sonné ?*
PIGEON : Vous allez vous arracher les cheveux madame. Les vigiles avaient désactivé l’alarme !
LAETITIA & JULIEN : HEIN ?
PIGEON : Elle fonctionnait mal depuis des années, elle se déclenchait intempestivement la nuit. Plutôt que de la faire réparer… ils l’ont coupée. Il était tranquille le scélérat, alors il a fait du zèle ! Son commanditaire lui avait demandé le tableau de Léger, et il avait évoqué un Modigliani. Il est allé chercher l’autre… et puis il en a pris encore trois !
JULIEN : Dont vous.
PIGEON : Dont moi ! Je l’ai vu s’approcher, je me suis dit que ça allait être mon tour, et ça n’a pas manqué. Boum, au sol, bam, dehors (bruit de vent)… oh là là, je déteste le dehors… bim, dans la voiture (voiture qui démarre), et adieu le Musée d’Art Moderne.
JULIEN : Et après ?
PIGEON : Je suis passé de mains en mains… D’abord au commanditaire du cambrioleur, puis un antiquaire, un ami du voleur, qui a eu pour mission de me garder à l’abri. Et c’est là que je me suis retrouvé dans cet atelier, enfermé dans un sac plastique dans lequel il s’est débarrassé de moi.
LAETITIA : Pourquoi ?
PIGEON : La pression sûrement. Vous imaginez vous, avoir une oeuvre volée chez vous alors que vous n’avez rien demandé ?
JULIEN : Et après ?
PIGEON : Après ? Le trou noir, jusqu’à ce que je débarque ici.
LAETITIA : On raconte que vous avez peut-être été jeté dans une benne à ordures… En tout cas c’est la version que défend la dernière personne dont on sait qu’elle vous a eu entre les mains…
PIGEON : Il paraît. Moi je n’en sais rien. Si ça se trouve ici on est dans une décharge… ou alors quelqu’un m’a trouvé dans les poubelles et m’a mis ici… ou bien j’ai été revendu en douce… (soupir, reniflement de tristesse)
JULIEN : Bon parlons un peu de vous ! Alors, attendez que je vous éclaire mieux… (bruit de briquet)
PIGEON, crie : N’approchez pas ce briquet vous êtes fou ! Vous voulez me faire cramer ou quoi ?
JULIEN : Oh pardon ! Vous êtes donc une nature morte, sur laquelle on distingue assez clairement une table avec un verre à pied, une bougie et donc un plat de pigeon aux petits pois.
PIGEON, un peu agacé : C’est ça. Je suis une scène de café parisien, c’est marqué sur moi, là, en gros. CA-FÉ.
JULIEN : Pourquoi ce plat-là ?
PIGEON : Et pourquoi pas ? Le père de Pablo était prof de dessin et spécialiste de la peinture de volailles. Alors je me demande s’il n’y a pas une réminiscence de sa jeunesse en moi.
JULIEN : Et donc vous êtes à la fois une nature morte et un tableau cubiste… Moi il y a quelque chose qui m’a toujours intrigué et que je n’ai jamais vraiment compris… c’est que tous les éléments se mélangent, on ne distingue trop rien…
PIGEON : Mais en fait c’est beaucoup plus facile que ça en a l’air !
JULIEN : Ah bon ?
PIGEON : Oui ! Il suffit de regarder l’évolution des natures mortes sur, allez, dix, quinze ans… Tenez, prenez une nature morte de Monet, une de Gauguin, de Matisse et puis moi. Si vous les regardez les uns à côté des autres, vous verrez que plus on avance dans le temps, plus la surface de la table est droite, c’est-à-dire qu’elle se confond avec la surface du tableau. Vous voyez ? Ca montre qu’avec le cubisme, la perspective a tendance à s’écraser, on voit tous les angles possibles sur un même plan.
JULIEN : Et c’est pour ça qu’après vous il y a l’abstraction totale, c’est-à-dire plus de perspective du tout ?
PIGEON : Exactement !
JULIEN : Eh bien merci beaucoup Le Pigeon aux petits pois, de Pablo Picasso. On espère que vous rejoindrez bientôt à nouveau les salles du Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
LAETITIA : Merci à vous aussi Julien !
JULIEN, bas : Euh par contre, comment on sort de là ?
PIGEON : Si je le savais j’y serais, au Musée d’art moderne.
JULIEN : Vous voulez dire qu’il n’y a pas de…
PIGEON : Non.
JULIEN : Euh Laetitia ?
LAETITIA : Oui ?
JULIEN : Je risque de rentrer à la rédaction tard, hein.