Cette planche issue d’une ancienne édition de l’album a été vendue aux enchères en début d’année. Mais quelle est son histoire ? Et… est-ce vraiment de l’art ? Nous lui avons posé ces questions dans le troisième épisode de la saison 3, quitte à se frotter à son courroux.
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HÉLÈNE : Bonjour Julien Baldacchino…
JULIEN : Bonjour Hélène Fily !
HÉLÈNE : Vous faites parler les œuvres d’art tout cet été dans Bavartdages… Cette semaine vous êtes avec un nouvel invité… mais vous ne pouvez pas nous dire où ?
JULIEN : Eh non Hélène, je m’y suis engagé auprès du propriétaire de mon invité de la semaine… Tout ce que je peux vous dire c’est que je suis quelque part en Europe avec une planche de BD, un hors-texte de Tintin en Amérique signé Hergé, qui a été vendu aux enchères en avril dernier pour la somme de 753.000 euros. Bonjour !
TINTIN : Bonjour ! Merci de respecter l’anonymat de mon propriétaire. Ce bachibouzouk n’aurait pas aimé, mille millions de mille sabords !
JULIEN : Oh non vous n’allez pas nous faire le coup des jurons du capitaine Haddock ?
TINTIN : Pourquoi ? Ça vous pose problème, espèce de bougre d’extrait de cornichon ?
Un temps.
TINTIN : Mais non, c’est une blague, ha ha. En plus ce serait anachronique, le capitaine Haddock n’existait pas quand Georges Rémi… pardon, enfin Hergé m’a dessiné.
JULIEN : Ouf. Alors vous êtes un grand dessin sur lequel on voit Tintin dans les rues de New York sur une voiture qui course un autre véhicule en lui tirant dessus…
TINTIN : C’est bien ça.
JULIEN : Et sur le fond comme sur la forme c’est une planche assez surprenante…
HÉLÈNE : Oui c’est vrai qu’on n’a pas l’habitude de voir Tintin revolver à la main en train de tirer…
TINTIN : C’est assez vrai. On voit assez peut Tintin avec des armes dans ses albums. Il fait plutôt usage de sa ruse en général. Mais j’aurais tendance à dire que quand mon héros prend une arme en main, c’est en général pour servir de bonnes causes… Et puis vous imaginez, dans un album où un grand bandit comme Al Capone est le grand méchant ! Un héros sans arme ! C’aurait été insensé ! On est à Chicago tout de même, pas sur la Lune !
JULIEN : Mais alors ce qui est le plus étonnant, c’est que nous avons relu ici Tintin en Amérique pour préparer cette interview, on a bien cherché et on ne vous y a pas trouvé !
TINTIN : C’est parce que je suis un hors-texte, un dessin crée par Hergé dans le processus de création de l’album…. mais je ne fais pas partie de l’histoire.
JULIEN : Et c’est pour ça que, vous êtes un grand format sans aucune bulle…
TINTIN : Phylactère.
JULIEN : Quoi ?
TINTIN : Les « bulles de BD » comme vous dites, ça s’appelle des phylactères.
JULIEN : Oui bon vous n’allez pas jouer avec les mots, au fond le…
HÉLÈNE : Non non Julien, il a raison là.
JULIEN : Soupir. Soit. DONC. Un hors-texte c’est donc un dessin où il n’y a pas de… phylactères, donc pas de texte ?
TINTIN : Pas nécessairement. J’ai des cousins dans d’autres albums de Tintin qui sont complètement intégrés à l’action. Si vous cherchez bien dans Tintin en Amérique, la scène que je représente… cette course poursuite elle est bien présente dans l’album ! Mais ce n’est pas moi qui la raconte.
JULIEN : Vous êtes une esquisse ?
TINTIN : J’AI L’AIR D’UNE ESQUISSE ?
JULIEN : Euh non non pardon.
HÉLÈNE : Allez-y poursuivez !
TINTIN : Je disais donc, ma particularité c’est d’être en dehors de la narration. Dans l’édition de Tintin en Amérique de 1937 d’où je viens, il y avait une série de dessins réalisés par Hergé pour agrémenter l’album. Nous avons été supprimés dans les éditions suivantes. C’est pour ça que vous ne m’avez pas trouvé en lisant votre Tintin en Amérique !
JULIEN : Revenons à votre vente aux enchères, en avril dernier… Plus de 750.000 euros pour une planche de BD, c’est beaucoup quand même…
TINTIN : Attendez vous insinuez quoi là ?
JULIEN : Ce n’est que de la BD…
TINTIN : QUOI ? Tonnerre de Brest ! Enlevez-moi ce raciste iconoclaste de là ! Ooooh retenez-moi !
HÉLÈNE : Julien je ne peux pas vous laisser dire ça ! La BD n’est pas un art mineur ! Excusez-vous !
JULIEN : Je…
HÉLÈNE : Vous nous avez amené en studio un urinoir, UN URINOIR, j’ai râlé moi ? Allez, je prends le relais.
JULIEN : Mais je…
HÉLÈNE : Pardon… alors est-ce que cette vente aux enchères, ce n’est pas une sorte de revanche pour Hergé qui se rêvait artiste peintre ?
TINTIN : Oh, oui, il y a sûrement de cela. Enfin, vous savez, je ne suis pas le Hergé le plus cher jamais vendu ! L’an dernier il y a une planche de « On a marché sur la Lune « qui est partie pour plus d’un million et demi d’euros ! Et même pour mon album… en 2012 l’original de la couverture de Tintin en Amérique est parti aux enchères pour un million trois… Donc oui, je pense que Georges aurait plaisir à voir qu’aujourd’hui il est reconnu comme un artiste à part entière. Et plus globalement que la bande dessinée est considérée comme un art. Je crois qu’il a été très affecté de pratiquer un art qui n’était pas noble pendant longtemps. Pas au début hein, moi je date de 1937, mais plus tard, au début des années 60… quand il a voulu tout plaquer pour faire de l’art abstrait.
JULIEN : Ah bon Hergé a fait de l’art abstrait ?
HÉLÈNE : Ah tiens ça vous intéresse à nouveau ?
TINTIN : Oui. Au début des années 60 il a eu le syndrome de la page blanche. Plus rien ne sortait pour les aventures de Tintin. Georges a voulu tout plaquer pour devenir peintre. Il a même pris des cours ! Ca a eu le succès que vous connaissez.
JULIEN : Comment ça ?
TINTIN : Vous ne saviez même pas qu’il s’y était essayé, enfin !
JULIEN : Euh… C’est vrai.
TINTIN : Et Hergé en souffrait d’autant plus qu’il était lui-même un grand amateur d’art. Il collectionnait beaucoup. Et il s’est même inspiré d’œuvres d’art pour les BD comme moi… Dans Tintin au Tibet par exemple, il y a une grande case qui montre Tintin au milieu d’un ramdam pas possible… elle est inspirée d’un tableau de Miro ! Et dans certaines cases des Bijoux de la Castafiore… on n’est pas loin de l’art abstrait ! Non, vraiment, Hergé a beaucoup fait pour rapprocher les beaux arts et la bande dessinée…
HÉLÈNE : Sans compter son dernier album, Tintin et l’Alph-Art…
TINTIN : C’est vrai, il s’agissait carrément d’un album consacré au milieu de l’art contemporain ! Tout était là, le centre Beaubourg, les galeries, des œuvres d’une valeur aussi douteuse que leur goût, des faussaires inspirés des vrais faussaires de l’époque et même un plan pour tuer Tintin en l’enfermant dans une fausse compression de César !
JULIEN : Eh bien comme quoi on peut avoir de belles surprises ! Merci à vous, je vous laisse à la collection de votre acheteur… Vous reverra-t-on un jour en public ?
TINTIN : Oh je ne crois pas de sitôt !
JULIEN : Bon séjour ici alors ! Et merci Hélène, à la semaine prochaine !