Nicolas Tourte, « Paraciel »

Bavartdage numéro 78

Paris, 10 novembre 2016

Alors bon. Quand c’est pas l’inspiration qui me manque, c’est le timing. L’exposition avec laquelle je m’étais mis en tête de discuter a fermé un jour plus tôt que je le pensais. Dommage, ils avaient l’air sympa les dessins de Charlotte Le Bon.

Et me voilà, errant dans les rues du Marais, regardant une par une les vitrines des nombreuses galeries qui entourent le musée Picasso. On y voit de tout, dans ces vitrines illuminées qui captent le regard dans ces petites rues étroites. Il y a des peintures somme toute assez classiques, des installations aux dimensions géantes, des flacons de parfum façon Bleu Klein, tiens, même un peu de BD, il y a des chaises volantes, il y a…

Oh. Un instant. Des chaises volantes ?

Je pousse la porte de la galerie Laure Roynette, qui fait l’angle d’une rue toute proche de l’antre de Picasso (de ses toiles, en tout cas). Et donc oui, ce sont bien des chaises volantes. Elles ne volent pas toutes seules, évidemment, elles sont suspendues au plafond. Leur assise et leur dossier ont été modifiés pour ressembler à des cônes, de sorte qu’il soit impossible de s’y asseoir.

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« Maintenant que nous sommes libres, ma belle, il n’y a plus que toi qui compte, dit l’une, à la voix d’homme.
– Tu as raison. J’en pince pour toi, répond l’autre.
– Là où nous sommes, plus personne ne viendra poser son postérieur sur nous !
– Tu as raison ! C’est le paradis !
– Non mon petit bout de bois préféré, ce n’est pas le paradis, nous ne sommes pas morts, c’est une deuxième vie ! »

Je regarde le petit dépliant de l’exposition pour découvrir le titre de cette oeuvre : « Couple de chaises », du plasticien Nicolas Tourte.

Ils sont mignons ce petit couple de bois et de métal. Laissons-les tranquilles et voyons ce que nous avons d’autre…. Allez, je parie sur ma chance et prends le petit escalier qui descend vers une autre salle de la galerie.

Et de la chance, j’en ai, semble-t-il.

Devant moi, quatre parapluies posés au sol. Dans une demi-pénombre, sans un bruit au-dessus de moi, ils sont là, tranquillement installés, sans rien dire. Et sur leur surface… des nuages. Pas des nuages peints, des vrais nuages qui bougent. Je jette un œil au dispositif de la salle : un peu plus loin, c’est un vidéoprojecteur qui donne aux parapluies cet éclat bleu ciel nébuleux. Sans dire un mot, je m’assieds en tailleur sur le sol de la galerie, à leur niveau, pour les contempler.

« Eh bien ? Dis quelque chose, hihi ! me fait une petit voix, celle apparemment de l’un des parapluies.
– On te laisse de marbre à ce point ? me dit une autre.
– Oh ! Non pas du tout, bien au contraire, leur réponds-je. Vous me fascinez plutôt.
– C’est gentil, fait le troisième parapluie.
– Merci ! » conclut le quatrième

La petitesse de leurs voix rejoint la poésie de ce ciel qui défile à leur surface. Accroupi, presque à quatre pattes, je fais le tour de l’installation.

« Qu’est-ce que tu fais ? me demande l’une des sculptures.
– Je regarde si le ciel se voit sur vos deux faces…
– Oui bien sûr ! Nous sommes comme une ouverture vers le ciel !
– Pas très pratique, pour des parapluies…
– Paraciels, me reprend un autre.
– Quoi ?
– Nous sommes des Paraciels, pas des parapluies, c’est TRÈS important. C’est notre titre. Et Nicolas, notre artiste, attache beaucoup d’importance aux titres de ses œuvres. Ils contiennent souvent le jeu de mots qui fait la clé de l’œuvre.
– Je vois. Et c’est quoi votre clé à vous ?
– Ce serait trop simple de te le dire ! Allez, réfléchis ! »

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C’est drôle, face à cette oeuvre, j’ai cette agréable impression de me retrouver face aux premières œuvres contemporaines avec lesquelles j’ai discuté, enfant. Il y a dans notre échange quelque chose de simple, d’innocent, qui me fait du bien. Il faut dire que ces derniers temps, ce sont des poids lourds ou des œuvres graves qui m’ont occupé l’esprit.

« Bon, alors voyons, fais-je aux quatre Paraciels…
– On t’écoute !
– Vous avez été créés à partir de parapluies, donc des objets pour protéger la pluie.
– Ok. Jusque là tout va bien, hihi.
– Mais votre artiste, euh…
– Nicolas Tourte.
– Il vous a transformés en vous projetant des images de ciel sur la toile et en vous appelant Paraciels.
– On est d’accord !
– Mais donc il y a une incohérence.
– Laquelle ?
– Si vous étiez des paraciels, vraiment, vous protègeriez du ciel. Et ce n’est pas le cas, puisqu’on peut voir le ciel à travers vous.
– Pas faux, tu marques un point, me répond l’un des paraciels de sa voix malicieuse.
– Mais il y a un mais ! enchaîne un autre. Où est-ce qu’on est ?
– Euh… bah euh… ici, réponds-je, hésitant.
– Mais encore ?
– Dans la galerie, dis-je.
– Et le ciel, il est où ?
– Au-dessus de nos… Ah bah non, fais-je, m’arrêtant brusquement dans ma réflexion. Il n’y a pas de ciel ici. Donc rien à protéger.

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– Précisément ! Nous n’avons aucune utilité, puisque nous sommes des œuvres d’art ! Il ne peut pas y avoir d’incohérence !
– Ca tombe sous le sens, en effet ! leur dis-je.
– Et c’est là-dessus que joue Nicolas quand il travaille ses œuvres, comme nous. Il crée une modification de la réalité, qui peut être plus ou moins légère, pour t’emmener, toi le spectateur, dans son monde à lui, l’artiste, Et à nous, les œuvres !
– Et ce n’est pas vraiment le même monde, continue un autre Paraciel. Une sorte de dimension parallèle…
– Un monde surréaliste ? Comme chez Dali ou Magritte ? demandé-je.
– Il y a un peu de ça oui, mais pas que ! Un critique nous a qualifiés « d’oxymores visuels ». Il y a pas mal d’humour et d’ironie aussi dans le travail de Nicolas. En détournant des objets du quotidien comme nous de la sorte, il mène tout un travail sur le rapport entre les gens et les objets, sur la place des humains dans le monde.
– A ce point ?
– Oui. Dans un monde où les objets auraient une place aussi purement poétique que nous, où les chaises reprendraient leur liberté et se mettraient en couple, vous feriez quoi, vous, les humains ?
– Pas grand-chose, sans doute.
– Voilà. Dans son travail, il y a aussi une critique de la place écrasante que nous, les objets, nous occupons dans le monde ! »

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Je regarde un instant ma montre. Han ! Je suis déjà beaucoup trop en retard : sans m’en rendre compte, je viens de passer près d’une demi-heure en compagnie de ces Paraciels. Je les salue gentiment. En remontant les marches, je remarque une minuscule carte de France, accrochée au mur. En éponge ? Non, en biscotte, me dit-elle. Cette expo m’aura surpris jusqu’au bout.

Jusqu’au bout, je vous dis. En franchissant la porte de la galerie, le beau temps a laissé place à une violente averse.

Et bien entendu, je n’ai pas de parapluie sur moi.

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