Ce dimanche, c’est un bâtiment tout entier qui était l’invité de Bav[art]dages sur France Inter. Le Centre Pompidou a raconté son histoire et ses petits secrets. Voici la version longue intégrale du texte !
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CLOTILDE – Et c’est l’heure de retrouver Bavartdages, votre rendez-vous hebdomadaire avec une œuvre d’art… Et c’est vous Julien Baldacchino qui l’interviewez… Bonjour Julien !
JULIEN – Bonjour Clotilde… Aujourd’hui mon invité est l’un des bâtiments qui ont figuré parmi les plus controversés de France… Un lieu conçu par deux architectes, Renzo Piano et Richard Rogers… Bonjour le Centre Pompidou !
BEAUBOURG, avec une très grosse voix – BONJOUR.
JULIEN – Alors avant d’entrer dans le dur une petite question… Comment est-ce qu’on vous appelle ? Centre Pompidou, Beaubourg, Musée d’art moderne ?
BEAUBOURG – Comme vous voulez, plus ou moins. Mon nom officiel c’est « Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou ». Mais tout le monde m’appelle Centre Pompidou. Et Beaubourg, vous pouvez aussi. Quand Georges Pompidou m’a imaginé, vous pensez bien qu’il ne comptait pas me donner son nom. Je devais m’appeler le Centre d’art du Plateau Beaubourg.
CLOTILDE – Vous avez changé de nom à la mort de Georges Pompidou, en 1974 ?
BEAUBOURG – Oui… Mais ça ne s’est pas fait tout seul. C’était l’idée de Jacques Chirac qui était devenu Premier ministre pour empêcher Valéry Giscard-D’Estaing, qui lui, était devenu président – et qui détestait l’art contemporain – pour l’empêcher de bloquer les travaux.
JULIEN – En changeant juste votre nom ?
BEAUBOURG – Oui, ça s’appelle la politique. Jacques Chirac a fait voter une loi par le Parlement pour créer l’établissement que j’allais devenir… et au passage me donner le nom de mon instigateur. Vous imaginez le tollé si Giscard avait annoncé qu’il mettait fin à mes travaux, au lieu qui porterait le nom de son prédécesseur ? Ca devenait un scandale politique !
JULIEN – Et voilà comment vous êtes devenu Centre Pompidou. Il faut dire qu’à votre construction, vous étiez loin de faire l’unanimité.
BEAUBOURG – C’est vrai. Pourtant l’idée d’un musée d’art contemporain à Paris était assez largement acceptée. Quand Pompidou est arrivé au pouvoir, la France était complètement dépassée… La capitale de l’art, c’était devenu New-York, même les jeunes artistes français partaient là-bas. Là où j’ai fâché, c’est quand les gens ont vu à quoi j’allais ressembler. Le projet de Renzo Piano et Richard Rogers était… comment dire… radical.
JULIEN – Et pourtant les juges avaient l’embarras du choix… Pompidou avait voulu un grand concours mondial très ouvert, il s’était retrouvé avec 680 projets sur les bras.
BEAUBOURG – 681, très précisément.
JULIEN – Qu’est-ce qui les a séduits ? Votre grand escalator ? Vos tuyaux colorés ?
BEAUBOURG – Je vais vous étonner… Mon projet initial n’avait rien de tout ça ! Ce qui a fait la différence… ce sont deux autres de mes caractéristiques, que j’ai toujours, hein, mais qu’on oublie un peu trop.
CLOTILDE – Lesquelles ?
BEAUBOURG – D’abord , je suis complètement modulable. Chacun de mes étages est un plateau complètement vide. Ensuiteon peut rajouter les murs que l’on veut pour modeler l’espace comme on veut. S’ils voulaient, mes patrons pourraient créer d’immenses salles transparentes sans aucun mur ! Du coup, toutes mes conduites techniques sont visibles, elles ne sont pas cachées dans des murs ou des faux plafonds.
JULIEN – Et l’autre caractéristique ?
BEAUBOURG – C’est la meilleure des deux, hé hé. Sur les 681 projets, j’étais le seul à ne pas occuper tout l’espace alloué.
JULIEN – Et c’est un atout ça ?
BEAUBOURG – Bien sûr que c’est un atout ! Avec une grande place devant moi, je suis devenu un lieu complètement intégré dans la ville ! On vient se promener devant moi comme on irait aux Tuileries…
JULIEN – Sans compter que l’esplanade est légèrement inclinée, ce qui fait qu’on entre à l’intérieur de vous par le sous-sol en quelque sorte.
BEAUBOURG – Oui. Et ça c’était très important pour Georges. Symboliquement, c’est très fort. Dans les musées classiques on monte vers le musée, il faut faire un effort, chez moi on descend dans le musée. C’est une façon de montrer que la culture doit être plus abordable.
JULIEN – Mais ça a causé un de vos plus gros problèmes : votre hauteur.
BEAUBOURG – C’est vrai, comme mon projet n’occupait qu’une moitié de l’espace, il fallait que je monte en hauteur… que je crève le plafond parisien, comme les cathédrales et la Tour Eiffel ! Ca n’a pas plu à tout le monde, et j’ai fini raboté d’un étage. Et il a fallu revoir mon escalator, qui petit à petit est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Et puis il y a eu le procès…
CLOTILDE – Vous nous racontez cette affaire juridique ?
BEAUBOURG – Plusieurs architectes se sont ligués contre moi… enfin contre Richard et Renzo. Ils les ont attaqué en justice , pour eux… je ne pouvais pas avoir remporté un concours d’architecture, parce que je n’étais pas de l’architecture !
JULIEN – Comment ça, vous n’étiez pas de l’architecture ??
BEAUBOURG – C’est ce qu’ils disaient. Ils s’étaient regroupés sous le nom de « L’association du geste architectural ». Ca vous parle ?
JULIEN – Pas vraiment, expliquez-nous ?
BEAUBOURG – Le « geste architectural », c’est le côté lyrique de l’architecture. Faire quelque chose de beau, et voir ensuite comment on y fait rentrer ce qu’on veut. Vous voyez… tenez prenez le musée Guggenheim de Bilbao par exemple. C’est un geste architectural ! C’est beau, c’est artistique. Moi je suis tout le contraire. C’est mon côté fonctionnel qui a rebuté. Alors voilà, « l’association du geste architectural » a attaquéMais ils ont été déboutés.
JULIEN – Et après ?
BEAUBOURG – Renzo et Richard ont encore modifié leur projet. Et là ils ont créé LEUR geste architectural à EUX ! Sur les conseils d’un peintre abstrait, Jean Dewasne, ils ont décidé que le Centre Pompidou serait complètement coloré ! voilà comment je me suis retrouvé avec ces tuyaux colorés. Enfin, faut pas pousser non plus, mes couleurs ont quand même une fonction.
JULIEN – Il s’agit d’un code couleur si mes informations sont bonnes, vos tuyaux bleus transportent l’air, les verts pour l’eau et les jaunes pour l’électricité, c’est ça ?
BEAUBOURG – Et les rouges pour les ascenseurs et les escalators, vous y êtes ! Et là, les partisans du Geste Architectural ont fermé leur clapet, ha ha ha ! (bruit de terre qui tremble)
CLOTILDE – Ne riez pas trop fort, on ne voudrait pas que vous provoquiez un tremblement de terre hein !
BEAUBOURG – Oh vous savez, à l’époque une rumeur disait que j’étais trop lourd et que si trop de monde venait me visiter je m’enfoncerais dans le sol… Ca n’est jamais arrivé, je pense que je suis prémuni !
JULIEN – Eh bien merci le Centre Pompidou de nous avoir confiés vos petits secrets ! Vous ouvrez au public dans quelques dizaines de minutes, bon dimanche à vous… et à vous aussi Clotilde !