La célèbre photo de Robert Doisneau est la première invitée de Bav[art]dages sur France Inter cet été. Aujourd’hui mondialement connue, il lui a fallu des années pour accédér à la notoriété.
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LAETITIA – L’art qui parle comme vous et moi, c’est Bav[art]dages. Vous avez découvert cette chronique l’été dernier sur France Inter, elle est de retour tous les dimanches de cet été à 7h25 avec vous… Julien Baldacchino… Bonjour !
JULIEN – Bonjour Laetitia, bonjour à tous !
LAETITIA – Pour cette première de l’été, l’oeuvre d’art que vous interviewez est une photographie…
JULIEN – « Le baiser de l’hôtel de Ville » de Robert Doisneau. Bonjour à vous…
BHV – Bonjour…
JULIEN – Vous permettez qu’on vous appelle le BHV ?
BHV – Non. Vous n’appelleriez pas la Joconde « Jojo », si ? Ce n’est pas parce que je suis une photographie que je ne mérite pas le respect. Ceci étant dit, je vous écoute.
JULIEN – Euh… très bien. Alors le Baiser de l’Hôtel de Ville, vous êtes l’une des photos les plus célèbres du 20e siècle…
BHV, l’interrompt – Alors encore une fois je me permets de vous arrêter, ce n’est pas tout à fait exact, il m’a fallu bien une trentaine d’années pour devenir une icône…
LAETITIA – Pour vous situer, Robert Doisneau vous a prise en 1950, pour le magazine américain Life.
BHV – Voilà, ça c’est exact. Je vais plutôt m’adresser à la dame.
JULIEN – Mais c’est moi qui…
BHV – Je vais m’adresser à la dame. Vous avez raison, j’ai été commandée à Robert dans le cadre d’une série de photos que le magazine Life voulait publier sur les gens qui s’embrassent dans les rues. En fait, au départ, je n’étais qu’une seule photo parmi d’autres, et ce n’était même pas moi qui étais mise en avant dans le reportage de Life ! Il a fallu attendre les années 1980 pour que Télérama me reprenne en Une. Et c’est seulement là que j’ai commencé à devenir si célèbre !
JULIEN – Et l’autre idée reçue que l’on a à votre sujet, c’est que vous n’étiez pas une photo volée mais bien une photo posée… ça a déçu beaucoup de vos admirateurs quand Robert Doisneau l’a reconnu…
(Un silence.)
JULIEN – Laetitia, vous voulez bien…
LAETITIA – Euh d’accord. Le Baiser de l’Hôtel de ville, donc, vous êtes une photo posée.
BHV – Bien entendu ! Vous imaginez saisir un instant pareil pour de vrai ? Et puis surtout… vous imaginez, publier dans un magazine des photos d’anonymes comme ça, presque en gros plan, c’était le procès assuré ! Non ! Robert a trouvé dans un café deux amoureux en train de s’embrasser passionnément, il leur a proposé 500F pour poser, et banco ! Ce reportage pour Life, il était fabriqué de toutes pièces… la crise de la presse ce n’est pas tout neuf, le journal n’aurait jamais eu les moyens de dépêcher un photoreporter une semaine entière à la chasse à la photo magique ! C’était bien plus simple de tout fabriquer.
JULIEN – Donc tout est faux chez vous.
BHV – NON ! PAS TOUT !
JULIEN, à demi-voix – Ah bah enfin vous me répondez…
BHV – La photo est fausse, oui. Mais pas le baiser ! Ni l’amour de mes deux modèles ! Je suis une photo passionnée, c’est ça mon caractère, il faut faire avec !
JULIEN – Par contre, vous disiez que le magazine Life avait voulu éviter des conflits de droits d’auteur, le souci c’est qu’avec votre succès vous avez attiré les convoitises…
BHV – La rançon de la gloire, oui… En 1992, des époux, les Lavergne, ont attaqué Robert pour obtenir 500.000 francs pour violation de leur vie privée. Ca n’a pas tenu, puisque Robert avait avoué quelques années plus tôt que je n’étais pas une photo volée mais une mise en scène… Par contre, presque au même moment, il y a une autre dame qui a dit se reconnaître sur moi… Elle s’appelait Françoise Bornet… Elle a réussi à prouver que c’était bien elle sur la photo… en fournissant un tirage original que Robert lui avait remis après la séance photo. L’homme, Jacques Carteaud, ne s’est pas joint à la démarche.
LAETITA – Donc la justice a reconnu que c’était bien cette Françoise Bornet ?
BHV – Oui.
JULIEN – Donc elle a gagné son procès ?
BHV – Non ! Mais non ! Encore une fois vous vous trompez ! La cour a bien jugé que Françoise Bornet et Jacques Carteaud étaient bien les amants sur la photo. Mais il y avait un vice dans cette affaire.
LAETITIA & JULIEN – Lequel ?
BHV – Du moment qu’il y avait deux plaignants différents, cela signifie qu’il y avait un doute sur l’identité des amants qui s’embrassent. Et s’il y avait un doute, c’est que j’étais faite de telle façon que mes modèles n’étaient pas clairement reconnaissables. Donc pas de violation de la vie privée, pas de droit d’auteur, pas d’amende !
JULIEN – Eh bien merci Le baiser de l’hôtel de Ville
LAETITIA – Merci Julien.. Merci aussi à Sophia Aram que vous aurez peut-être reconnu dans la peau de cette photographie…