Paris, Petite couronne, 22h15
« Non, il ne va quand même pas…
– Sauter ? Si. » me répond un immense nuage situé à une bonne dizaine de mètres au-dessus de la voie ferrée de la Petite Ceinture.
Quand je suis arrivé dans cet étrange lieu, l’un des rares encore mal apprivoisés de Paris intra muros, j’ai d’abord cru que c’était un grain de pop-corn géant. Après avoir entendu des cigales dans le parc Monceau et vu une araignée géante aux Batignolles, je me disais que tout était possible.
Et puis finalement, il a fallu me rendre à l’évidence, c’était un nuage. « Mon titre est Nuage », ma dit l’oeuvre quand je suis arrivé devant elle. Là, des gens commençaient à s’agglutiner sous ce gros cumulus.
« Tu vas faire quelque chose ?, lui ai-je alors demandé.
– Moi, non, je ne vais rien faire. Mais je serais toi, j’attendrais un peu ici. Comme tous ces gens. »
Et me voilà donc attendant que quelque chose se passe. A taper la causette avec cet impressionnant nuage perché au-dessus de nous, tenu par des câbles eux-mêmes solidement attachés à une structure métallique posée là pour l’occasion. Des gros moyens, quoi.
« Et donc, tu es une oeuvre de… ?
– Stéphane Ricordel.
– Connais pas. Il fait quoi, habituellement ?
– Des spectacles d’acrobatie. Ce n’est pas un plasticien. Il dirige une compagnie d’acrobates, « Les Arts Sauts ». Ce qu’il propose ce soir, avec moi, c’est un vrai spectacle !
– Ah ! Voilà qui devient intéressant ! Et qu’est-ce que…
– DIIIING ! DIIING ! »
Un gigantesque son de cloche résonne dans la Petite ceinture, et au-delà. De plus en plus de gens s’agglutinent pour voir ce qu’il va se passer. Après que les cloches ont sonné, un type, sorti de nulle part, commence à grimper à une échelle. Une très haute échelle.
« Qu’est-ce qu’il fait ? demande-je à l’oeuvre.
– Il escalade le ciel pour aller toucher les nuages, me répond-elle.
– Il vient vers toi, quoi, dis-je alors que le type a bien atteint six ou sept mètres de haut.
– C’est ça. C’est en quelque sorte une métaphore de ces hommes qui veulent défier la nature pour atteindre leur rêve. Cet acrobate et moi, c’est un peu l’histoire de quelqu’un qui aurait trouvé l’idée géniale pour aller habiter et jouer dans les nuages, comme d’autres le font avec l’espace.
– Mais là… non. Il ne va quand même pas…
– Sauter ? Si ».
L’acrobate a fini de grimper, le voilà marchant sur la structure métallique, juste au-dessus du nuage.
« BANG ! BOUM ! Bambalamboum ! Aaaah ! », fait l’ouvre, provoquant un gigantesque coup de tonnerre dans la bande-son du spectacle, alors que l’acrobate vient de plonger vers le nuage, avant de rebondir, encore et encore.
« Oh ! Tu es un trampoline !
– Oui, c’est mon petit secret. Et regarde ! me dit-il à nouveau alors que de la poudre blanche tombe du ciel… enfin, de ce nuage artificiel.
– C’est de la neige ?
– Oui ! L’acrobate a déclenché de la neige en sautant à l’intérieur de moi.
– C’est beau !
– C’est tout ce que tu penses ?
– Oui, pourquoi ? Je trouve ça poétique, je me trompe ?
– Tu ne te trompes pas, mais tu as oublié l’un de mes aspects importants.
– Lequel ?
– Il neige.
– Oui, ça j’ai vu ça, merci.
– En octobre.
– Eh ben oui, je… Oh. Dérèglement climatique ?
– En quelque sorte. L’acrobate qui m’a sauté dessus a réalisé un rêve de l’Humanité, gravir les nuages. Et pour ça, il a défié la nature. Mais voilà, je me suis vengé. Et vous avez de la neige en octobre.
– C’est ça ton message ? Si on malmène la nature, elle nous le rendra bien ?
– Voilà. Tout comme quand tu aimes la nature, elle te le rend bien. Ca marche dans les deux sens.
– Et maintenant, il se passe quoi, demande-je alors que le jongleur descend petit à petit à nouveau vers le sol, et que les visiteurs commencent à passer leur chemin.
– Maintenant, on attend un bon quart d’heure, et on recommence ».
Alors j’ai continué mon chemin.