23h30, Paris gare du Nord
Ma Nuit Blanche se poursuit, Gare du Nord cette fois-ci. Devant la gare s’élève une maison… en train de fondre. Littéralement. Les murs de cette bâtisse haussmanienne se ramollissent à mesure qu’ils approchent du sol, et finissent par se ratatiner sur le parvis de la gare.
« Bonjour, me dit l’œuvre monumentale avec un léger accent d’Amérique du Sud. Je suis une sculpture de Leandro Erlich, Maison Fond.
– Mes enfants ?
– Non, Maison Fond. Du verbe fondre.
– Ah pardon, j’avais mal compris.
– C’est normal. C’est fait exprès, mon nom joue sur la proximité des sons. Parce que c’est encore plus terrible si tu perds tes enfants que ta maison.
– Oulà. Tu n’es pas vraiment positive.
– Ce n’est pas mon but. Quand on a demandé à Leandro de concevoir une œuvre autour de l’environnement, pour la COP21, il m’a crée.
– Donc tu es là pour sensibiliser avant tout ?
– Oui. Leandro aime raconter des histoires du quotidien. Mais les problématiques environnementales, la fonte des glaciers, toutes ces choses affreuses, on les lit dans les journaux, on sait qu’elles existent, mais on a du mal à en prendre réellement conscience parce qu’ici, elles n’ont aucun impact sur votre quotidien. C’est trop éloigné de vous, humains d’ici.
– C’est vrai. Je plaide coupable, moi-même je me dis souvent que c’est pas le fait de couper la lumière quand je sors d’une pièce qui va sauver le monde.
– Voilà. C’est pour ça que Leandro a transposé ces problématiques dans la vie quotidienne, et qu’il m’a posé ici, dans un lieu de passage, pour attirer l’attention des gens et les faire réfléchir. Et d’ailleurs, grâce à cet aspect engagé, je suis un peu une œuvre à part dans le travail de Leandro, qui en général s’intéresse plutôt aux trompe-l’œil et aux illusions d’optique. Tu te souviens la gigantesque façade de maison sur laquelle on pouvait donner l’impression de grimper grâce à un grand miroir, il y a quelques années, à Paris ?
– Oui…
– Eh bien c’était lui, Leandro ! Cette œuvre, c’est une de mes sœurs ! Tout comme la fameuse piscine dans laquelle on peut rentrer debout et tout habillé, au Japon. C’est lui aussi !
– Ah quand même !
– Eh oui, c’est pas n’importe qui mon créateur ! » me fait l’oeuvre avec un petit air d’auto-satisfaction.
Je m’apprête à repartir quand un détail m’attire l’attention. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais les fenêtres de la maison sont toutes allumées.
« Tu es habitée ?
– Peut être. En tout cas si tu te poses la question, c’est que mon objectif est atteint.
– Mais… Même si ce n’est qu’une illusion… Pourquoi les habitants ne sont-ils pas sortis ?
– Parce qu’il n’y a pas de porte ».
La sculpture a raison – encore heureux, elle parle d’elle-même. J’ai beau faire le tour de la baraque, il n’y a pas de porte. Elle a déjà fondu, j’imagine.
« C’est ça. La porte a fondu.
– C’est un symbole ? Ca veut dire qu’on est déjà bloqués, que c’est foutu ?
– Ca, c’est toi qui le dis. Moi je ne veux pas m’avancer sur ma signification. Tu sais, Leandro a l’habitude de dire que dans une oeuvre d’art, l’artiste fait 50% du travail, et qu’il reste 50% pour le public. Mais si c’est cela que tu comprends, que vous êtes déjà foutus, alors peut-être que c’est ce qu’il faut comprendre. Allez file, il est déjà tard ! »
Alors que les caméras de télévision filment ce qui sera vu comme le symbole de cette Nuit Blanche, je vogue vers l’oeuvre suivante…
« Ah ! J’oubliais ! Prends un parapluie pour aller voir ma voisine ! » me dit l’oeuvre.