Ne l’appelez pas Urinoir, elle n’appréciera pas ! L’oeuvre Fontaine de Marcel Duchamp, pivot de l’histoire de l’art contemporain, est de retour au Centre Pompidou depuis fin mai. Pour l’occasion, elle répond aux questions de Bav{art]dages.
MARION – Cette semaine on parle d’un poids lourd…
JULIEN – Peut-être même le plus gros en matière d’art contemporain, Marcel Duchamp !
MARION – Et pour en parler avec vous, votre invité… L’Urinoir… Bonjour.
FONTAINE – Fontaine, mon nom est Fontaine, pas « urinoir ».
MARION + JULIEN – Bonjour quand même…
FONTAINE – Je ne vous appelle pas Micheline, alors respectez mon nom.
JULIEN – D’accord mais justement, ça n’a pas toujours été votre appellation. Votre premier titre, c’était Le Bouddha de la Salle de Bain.
FONTAINE – Oui. Je n’ai été renommé Fontaine qu’après ma destruction.
JULIEN – Votre destruction… Comment vous retrouvez-vous ici avec nous si vous avez été détruit ?
FONTAINE – C’est simple : je ne suis pas l’oeuvre originale. L’urinoir original, le fameux Bouddha de la Salle de bain, celui de 1917, il a disparu. Personne ne sait vraiment ce qu’il lui est arrivé, alors Marcel accepté qu’une dizaine de reproductions soient réalisées. En fait moi, copie de l’original, je suis un moulage, une sculpture classique. C’est un scandale, vous imaginez ! L’oeuvre de Duchamp c’était un ready-made, un objet sur lequel aucun travail manuel n’avait eu lieu, et moi je suis tout le contraire !
JULIEN – Alors justement, vous parlez de ready-made… On rappelle pour nos auditeurs ce que cela signifie ?
FONTAINE – Ouais si vous voulez. (soupire) Ca signifie que je suis une oeuvre d’art, mais qu’à la base, je ne suis qu’un objet de consommation courante. Je ne suis devenu oeuvre d’art que parce que Marcel a décidé que je serais une oeuvre d’art.
JULIEN – Il faut préciser quand même, Marcel Duchamp vous a signé comme si vous étiez un tableau, et surtout, surtout, il vous a renommé.
FONTAINE – C’est ça son coup de génie ! Marcel a pris un urinoir, il l’a débaptisé et rebaptisé. Tout le monde croit qu’il m’a élevé au rang d’oeuvre d’art en me donnant un nom différent de mon appellation commune.
JULIEN – Et c’est le cas… ?
FONTAINE – Mais ce n’est pas le plus important ! Le plus important, c’est qu’il a amené l’art à mon niveau ! C’était ça, l’objectif de Marcel Duchamp. Dé-sa-cra-li-ser l’art. En donnant à un urinoir – moi – le titre qu’il aurait pu donner à une sculpture, et en me signant comme un tableau, il a fait descendre l’art dans le caniveau.
JULIEN – Et vous êtes devenu la première oeuvre ET le premier scandale d’art contemporain. Ca veut dire que l’art contemporain est scandaleux, c’est dans son ADN ?
MARION – Vous nous racontez un peu, ce scandale ?
FONTAINE – Oui, c’était en 1917… Duchamp m’a proposé à une foire d’art organisée par la Société des artistes indépendants de New-York, dont il faisait partie – puisqu’il habitait aux Etats-Unis à ce moment-là. Et il s’est passé quelque chose de très particulier : j’ai été refusé, alors que selon les règlements du salon d’art, aucune oeuvre d’aucun artiste ne pouvait être refusée.
JULIEN – Je cite la lettre de la Société des Artistes : « Sa place n’est pas dans une exposition d’art et ce n’est pas une œuvre d’art, selon quelque définition que ce soit ».
FONTAINE – Et donc par ce seul fait, eux aussi ont contribué à faire de moi une oeuvre d’art. Si j’avais été accepté dans leur salon, personne n’aurait jamais entendu parler de moi. D’autant plus que Marcel avait pris un pseudonyme, R.Mutt, pour me proposer incognito. Je passais dans le salon, j’étais l’oeuvre sans grand intérêt d’un artiste inconnu.
JULIEN – C’est votre refus qui a fait votre popularité ?
FONTAINE – Bien sûr ! Comme tout ce qui a été interdit et censuré dans l’art ! Comme on dit, j’ai fait le buzz ! Grâce à moi, Marcel a déstabilisé tout le monde de l’art. Grâce à moi, on a commencé à se poser la question de ce qu’est une oeuvre d’art, et c’est l’une des questions fondamentales de l’art contemporain.
JULIEN – Eh bien merci, Fontaine de Marcel Duchamp… Marion vous l’avez compris, c’est en mettant l’art à la hauteur d’un objet de consommation courante que Marcel Duchamp a créé l’art d’aujourd’hui…