Diego Velasquez, « Les Ménines »

« Les Ménines », peint en 1656, est la toile la plus célèbre de Diego Velasquez. Pourtant, à l’occasion de la grande rétrospective consacrée à Velasquez au Grand Palais, elle n’est pas présentée. Nous sommes allés à sa rencontre, au musée du Prado de Madrid.

JULIEN – C’est un invité exceptionnel puisqu’il s’agit du chef d’oeuvre de Diego Velasquez peint en 1656, les Ménines, un portrait de la famille royale d’Espagne. Bonjour votre altesse.

MENINES –  Bonjour.

JULIEN – Avant que l’on revienne sur votre longue carrière, j’aimerais qu’on parle un instant de votre actualité, ou plutôt justement de votre non-actualité… En ce moment à Paris se déroule une grande exposition consacrée à votre peintre, Velasquez… Tous ses plus grands tableaux sont au rendez-vous… et pas vous. Pourquoi ?

MENINES – Je ne me déplace pas.

JULIEN – Pas même pour une exposition de cette envergure ?

MENINES – Pas même. Voyez-vous monsieur Baldacchino, je suis trop importante pour cela. Les amateurs se déplacent pour venir m’admirer, moi je n’ai pas à bouger. Et je suis bien trop attachée à ma maison, le musée du Prado de Madrid. Je ne le quitte jamais. Imaginez-vous aller au Louvre et n’y point voir la Joconde ? Il en va de même pour moi. Les Ménines sont au Prado, je ne quitte pas ma place.

MARION – Ca a le mérite d’être clair !

JULIEN – Ce qui est beaucoup moins clair, votre altesse, c’est votre nature exacte. Depuis des siècles les spécialistes de l’art s’écharpent sur votre cas. Alors est-ce que vous pouvez enfin nous dire si vous êtes un portrait de l’infante, un autoportrait de Velasquez…

MENINES – Il serait trop aisé de vous répondre, et de lever ce mystère qui, dois-je avouer, m’amuse beaucoup. Tout au plus puis-je vous guider en vous exposant les faits tels qu’ils se sont déroulés.

MARION – Nous sommes tout ouïe !

MENINES – Diego m’a peinte en deux fois. En qualité de peintre officiel de la cour d’Espagne, c’est à lui que le roi Philippe IV a fait appel pour immortaliser les traits de sa fille Marguerite-Thérèse, héritière du trône. J’étais alors un portrait tout-à-fait classique, mon côté gauche était orné d’un grand rideau rouge.

JULIEN – Là nous sommes en 1656, mais un an plus tard, le roi a ensuite un fils, et c’est lui qui est appelé à régner.

MÉNINES – Non, il est appelé Prospero.

JULIEN – Je veux dire, il devient l’héritier légitime !

MENINES – Ah. Oui. Alors Diego a repris sa royale création – moi – et y a ajouté un élément nouveau, sur mon côté gauche : son autoportrait.

JULIEN – J’essaie de résumer en quelques mots ce qu’on peut voir en vous scrutant : Velasquez qui est en plein travail et l’infante, tous les deux regardent dans la direction du spectateur, mais au fond de la pièce, on voit dans le miroir le reflet du roi et de la reine.

MENINES – Noble résumé. C’est en effet ce jeu de regards qui sème le trouble en moi. Et qui prouve à quel point l’art, c’est-à-dire l’illusion, et la vie, c’est-à-dire la réalité, sont liés.

MARION – C’est votre grande énigme… Qu’est-ce que Vélasquez est en train de peindre ? On lit souvent qu’il y a une mise en abyme et qu’il s’est représenté en train de vous peindre…

MÉNINES – C’est ma grande énigme, oui. Mais je n’en dirai pas plus.

JULIEN – Votre majesté, pardonnez-moi de m’obstiner, mais pourquoi Velasquez s’est-il représenté sur un portrait de la famille royale plutôt que de se consacrer un tableau à lui seul ?

MÉNINES – Voilà une autre question à laquelle il m’est en revanche tout à fait possible de répondre. Ce choix est une forme de prise de parole sociale, une revendication de Diego.

MARION – Vous êtes une œuvre engagée, c’est ce qu’on doit comprendre ?

MÉNINES – Eh bien… Bien que l’idée d’art engagé eût été inimaginable à l’époque, je suis en quelque sorte ce qu’on peut appeler une œuvre… Oui. Engagée. Un peintre, de vos jours, c’est un artiste. À mon époque, c’était un ouvrier. Diego était le peintre officiel de la famille royale, les monarques l’avaient employé en vertu de ses compétences techniques, non de son regard artistique. Au 17ème siècle, Diego était plus connu pour s’occuper de la collection royale d’œuvres, au musée du Prado, que pour ce qu’il peignait. Alors, parce qu’il voulait que son art soit reconnu comme noble, il s’est représenté aux côtés de la famille royale.

JULIEN – Eh bien voilà ! On a tout de même pu en apprendre un peu plus sur vous. Merci les Ménines, nous vous laissons retourner à votre place au musée du Prado…

>> les suppléments sur le site de France Inter

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