BAV{ART]DAGE LIVE | Bordeaux, le 22 janvier 2015
Wow. J’avais oublié à quel point le CAPC de Bordeaux est démesuré. Cela faisait des mois que je n’y avais pas mis les pieds. Et c’aurait été dommage de ne pas y revenir. La Fontaine de Duchamp m’a rencardé pour aller jeter un oeil au vernissage de trois expos en une. Comme toujours en arrivant sur les lieux, j’ai une réticence à passer l’immense porte imposante, qui doit bien peser plusieurs tonnes, et me sépare de l’entrée du musée.
Pas d’inquiétude : cette exposition-là, celle de Franz Erhard Walther, elle est fermée. « Tu vois que je ne t’ai pas menti. Cette fois pas de surprise« , me dit la grosse voix du musée, qui résonne jusque dans ma poitrine. Je peux simplement apercevoir, de loin, les morceaux de tissu et les structures exposés. « Tout le monde me dit que cette expo est hermétique, pourtant c’est simple, me dit le musée, ce sont des éléments qui doivent être portés pour devenir oeuvres d’art.
– Mais portés par qui ?
– N’importe qui ! A la base c’était Franz, mais ici, les visiteurs peuvent les enfiler, s’y glisser, les porter, pour reconstituer la situation de performance artistique. On dit qu’ils réactivent l’oeuvre.
– Et pourquoi on ne peut pas entrer, là ? demande-je, curieux de pouvoir moi-même expérimenter la chose.
– Parce que c’est pas pour ça que tu es venu ! Monte nous voir ! » me hèle un groupe de voix descendant de l’étage.
Je gravis les grands escaliers du lieu pour atteindre l’entrée de l’exposition. Ce qui ne sert pas s’oublie : c’est son titre.
« Mais… ça veut dire quoi, la vie des objets ? me demande-je, alors qu’à ma droite et à ma gauche le monde se presse pour entrer.
– En fait, me répond une petite voix, c’est une façon de dire que les objets, qui sont des choses matérielles, font aussi référence à quelque chose d’immatériel.
– Quelque chose d’immatériel ?
– Oui. L’Histoire, les relations entre les hommes, la culture, la croyance. Tous les objets sont porteurs d’une signification qui découle de l’environnement dans lequel ils ont été créés et utilisés. Tu vois ?
– Pas vraiment, non…
– Une fourchette utilisée par les incas t’en dira plus sur l’histoire du monde que la fourchette avec laquelle tu as mangé à midi, tu vois ? Pourtant, ce sont toutes les deux des fourchettes.
– Mais c’est pas de l’art ça, c’est de l’archéologie !
– Mais oui ! poursuit la petite voix. Ce que tu vas voir est profondément lié à l’archéologie et à l’ethnographie. Il y a même des extraits de la collection du Musée communautaire de Valle de Xico, au Mexique. Viens me voir, tu vas comprendre ».
« Va donc faire un tour, tu vas voir comment la vie passée des objets prend forme !« , me disent en choeur l’oeuvre faite de faux pots, et le musée tout entier.
« Non mais sérieusement, c’est quoi ?
– Un sémiophore ? me répond l’oeuvre, qui a l’air de chuchoter.
– Oui.
– C’est un terme qui désigne tous les objets d’une collection, comme dans un musée. Tous ces objets qui sont important non pas parce qu’ils sont utiles, puisque plus personne ne les utilise, mais plutôt par leur signification, par ce qu’ils veulent dire de l’époque dont ils témoignent.
– C’est pas facile, mais je vois ce que tu veux dire. Et toi, la vidéo, tu représentes quoi ?
– Je montre ce que sont les gestes que l’on fait quand on touche ces objets. Tu vois, la paire de gants blancs saisit l’objet masqué par du noir. On ne voit plus que les gestes. Autrement dit, l’objet disparaît, et on ne voit plus que des gestes, des signes, de la signification, quoi« .
« Ca y est, c’est fini ? demande-je en arrivant au bout de la galerie, au moment de rebrousser chemin.
– Pour la plus grande des expos, oui. Mais va donc faire un tour dans la galerie d’en face« , me conseille la grosse voix du musée.